Abstract:
L’incidence du cancer de la thyroïde (CT) a augmenté de façon dramatique ces trois dernières décennies dans plusieurs régions du monde. Les causes de cette augmentation qui s’est faite aux dépens des carcinomes papillaires (CTP) et des microcarcinomes thyroïdiens (MCT) (≤10 mm) sont à ce jour débattues. Nous avons réalisé une étude en population générale, afin de décrire l’évolution des caractéristiques démographiques, cliniques, anatomopathologiques des CT dans la wilaya d’Oran, et l’incidence et ses tendancesdes. Initialement limitée à la période 1993-2006, nous avons étendu l’étude à l’année 2013.
Nous avons collecté les données sur les CT par la méthode de vérification indépendante des cas, et l’approche multi-source. Nous nous sommes appuyés sur les recommandations du Réseau Européen des Registres du Cancer et de l’Association Internationale des Registres du Cancer pour déterminer la date d’incidence et valider les données épidémiologiques, et sur la Classification Internationale des Maladies pour l’Oncologie, 3 éme édition pour coder les CT en sous types morphologiques. L’incidence standardisée était calculée pour les femmes et les hommes et exprimée pour 100 000 personnes-années, et la tendance temporelle de l’incidence était évaluée par l’estimation de la Variation Annuelle de l’incidence exprimée en Pourcentage (VAP). Nous avons utilisé le modèle Âge-Période-Cohorte afin d’évaluer les effets de l’âge, de la période de diagnostic, et de la cohorte de naissance sur les tendances observées.
Entre 1993 et 2013, 1 443 nouveaux cas de CT ont été diagnostiqués dans la wilaya d’Oran,dont 1 248 (86,5%) chez des femmes. Le sex-ratio était de 6,4:1. L’âge moyen au diagnostic était de 43,7±14,8 ans chez les femmes et 48,1±15,3 ans chez les hommes. La maladie était découverte fortuitement par 83,1% des femmes et 69,8% des hommes suite à une autopalpation. Les types histopathologiques les plus fréquents chez les femmes et les hommes étaient les CTP (59,5% et 51,8%) et les carcinomes vésiculaires (CTV) (30,4% et 25,6%). Les MCT représentaient 21,3%. L’incidence standardisée était de 11,7 pour 100 000 chez les femmes et de 2,0 pour 100 000 chez les hommes. Chez les femmes comme chez les hommes une augmentation de l’incidence était observée durant la période étudiée, mais seulement significative chez les femmes (VAP: +3,72% ; p<0,05 et +3.23% ; p>0,05), et a concerné les CTP (VAP : +5,48% ; p<0,05 et +14,38% ; p<0,05), les MCT chez les femmes (VAP:+17,34% ; p<0,05), et les carcinomes >40 mm chez les hommes (VAP: +20,24% ; p<0,05). Durant la même période une baisse significative de l’incidence des CTV était observée (VAP : -3,74% ; p<0,05).Le model Âge-Période-Cohorte a mis en évidence la présence d’un effet période de diagnostic, avec augmentation de l’incidence des CTP à partir de l’année 2001, et un effet cohorte de naissance, avec les taux d’incidence les plus élevés chez les femmes nées dans les années 1980.
En 21 ans (1993-2013) l’incidence du CT a augmenté de façon dramatique dans la wilaya d’Oran, du fait d’une augmentation de l’incidence des CTP et des MCT. Notre étude confirme les tendances observées dans certaines wilayas d’Algérie, mais aussi dans de nombreux pays, et place la wilaya d’Oran parmi les régions du monde où l’incidence du CT est élevée. L’augmentation de l’incidence observée est probablement multifactorielle. Même si l’augmentation de la fréquence des thyroïdectomies réalisées durant la période étudiée a eu un effet de surdiagnostic, la correction de la
carence iodée généralisée dès 1992 a probablement joué un rôle déterminant dans les tendances observées. Le rôle possible des autres facteurs de risque est également discuté.